Le dilemme de l’or : évaluation, dédollarisation et prochaines étapes
Corrado Tiralongo - 6 novembre 2025
Découvrez si la flambée des prix de l’or marque une nouvelle ère structurelle ou s’il ne s’agit que d’un autre excès cyclique.
Sommaire
La flambée de l’or au-dessus des 4 000 $ US ravive une question bien connue : s’agit-il d’une nouvelle ère structurelle ou d’un simple excès cyclique?
Le prix rajusté selon l’inflation du métal se situe désormais à des niveaux historiques extrêmes, un seuil qui, lors des cycles précédents, a été suivi par des rendements réels plus faibles.
Des forces structurelles – notamment la financiarisation par l’intermédiaire des FNB, la diversification des banques centrales et la dédollarisation menée par les BRICS (les efforts déployés par des pays tels que l’Afrique du Sud, le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine pour réduire leur dépendance au dollar américain dans la finance et le commerce internationaux) – soutiennent la demande à court terme, mais ne modifient pas nécessairement les repères d’évaluation à long terme.
Pour les investisseurs, l’or demeure une couverture crédible dans un portefeuille diversifié, mais à ces niveaux, il ressemble de plus en plus à une assurance coûteuse plutôt qu’à une source de rendement durable.
Vue d’ensemble
De récents commentaires portaient sur la façon dont l’incertitude entourant la politique monétaire, l’accumulation des avoirs par les banques centrales et l’exubérance des investisseurs ont fait en sorte que l’or a atteint des sommets nominaux. Voyons pourquoi l’or a progressé et si ces niveaux sont durables.
Une fois rajusté en fonction de l’inflation, le prix réel de l’or se rapproche maintenant de sommets historiques, comparables à ceux de 1980, 2011 et 2020. Au cours de chacune de ces périodes, les rendements réels sur 10 ans subséquents de l’or ont été faibles ou négatifs. Historiquement, les prix réels élevés de l’or ont indiqué une diminution de la protection du pouvoir d’achat futur, une tendance qu’Erb et Harvey ont d’abord décrite comme le « dilemme de l’or ».
Qu’est-ce qui explique la hausse?
Plusieurs forces à moyen terme continuent de soutenir la demande. Au cours des 15 dernières années, la financiarisation de l’or au moyen de fonds négociés en bourse (FNB), d’instruments numériques et de cryptomonnaies stables adossées à l’or a changé la structure de propriété. Les FNB sont devenus un instrument dominant pour les investisseurs institutionnels et les investisseurs individuels. SPDR Gold Shares et iShares Gold Trust, deux des plus grands fonds, affichent une forte corrélation avec le prix réel de l’or depuis leur lancement.
Des recherches récentes d’Erb, Harvey et Viskanta (2020)i ont révélé que la propriété des FNB explique maintenant près de 90 % de la variation du prix réel de l’or depuis 2004, ce qui montre comment sa financiarisation a amplifié les mouvements du marché. Cette dynamique a créé ce que les auteurs appellent en anglais massive passives, des géants passifs, c’est-à-dire de grands investisseurs insensibles aux prix dont les flux peuvent entraîner une inflation des prix réels au-delà des données fondamentales et potentiellement prolonger des périodes d’exubérance irrationnelle.
En parallèle, les achats des banques centrales et des États souverains se sont accélérés, surtout dans les marchés émergents. Les avoirs officiels en or de la Chine ont augmenté d’environ 15 % depuis 2022ii dans le cadre d’un effort plus large visant à réduire l’exposition au dollar américain. Ce processus de dédollarisation, bien que graduel, a ajouté une nouvelle source de demande insensible aux prix, même si les flux traditionnels vers les FNB se sont modérés.
Fait intéressant, de nouvelles donnéesiii montrent que cette relation jadis stable entre les flux des FNB et les prix de l’or, qui a maintenu une corrélation de plus de 90 % tout au long de 2022, est rompue depuis 2023. La divergence récente suggère que de nouvelles forces structurelles, comme l’accumulation par les banques centrales, la dédollarisation et l’évolution réglementaire dans les marchés émergents, stimulent désormais la demande davantage que les flux des investisseurs traditionnels.
Or ces facteurs favorables coexistent avec les mêmes contraintes structurelles qui ont historiquement limité le potentiel haussier de l’or. La production minière mondiale demeure stable à près de 3 300 tonnes par année, ce qui signifie que toute augmentation de la demande doit être compensée par des prix plus élevés. Avec une offre physique largement inélastique, le sentiment et les changements de politiques jouent un rôle disproportionné dans la fixation des prix à court terme.
Le dilemme de l’or revisité
Le concept de la « constante dorée », d’abord formulé par Roy Jastram en 1978 et ensuite approfondi par Erb et Harvey, soutient que le pouvoir d’achat de l’or tend à revenir vers une moyenne à long terme. Les données modernes le démontrent dans la relation entre le prix réel de l’or et ses rendements réels ultérieurs. Lorsque le prix réel est élevé, comme c’est le cas aujourd’hui, les rendements réels futurs ont tendance à être faibles.
Le prix réel actuel de l’or, après rajustement en fonction de l’inflation, se situe près de sommets par rapport à sa moyenne de pouvoir d’achat à long terme. elon les données d’Erb et de Harvey, l’or se négocie actuellement à environ sept fois son prix réel à long terme, un niveau que les auteurs décrivent comme très élevé selon les normes historiques.
En dollars de 1982iv et en utilisant le prix nominal actuel de l’or (4 030 $ US), cela équivaut à environ 1 200 $ US l’once aujourd’hui, contre un prix nominal moyen d’environ 375 $ US en 1982. Bien que le ratio exact dépende de la période utilisée, la conclusion demeure : l’or est exceptionnellement cher en termes réels, et historiquement, de tels extrêmes ont précédé des rendements réels faibles ou négatifs au cours de la décennie suivante.
Des données supplémentaires recueillies par Erb, Harvey et Viskanta (2020) viennent étayer cette conclusion. Après les sommets du prix réel en 1980 et en 2011, le prix nominal de l’or a reculé de 55 % et 28 %, tandis que son prix réel a chuté respectivement de 65 % et 33 %. Les auteurs soulignent que le prix réel actuel se situe à un niveau tout aussi élevé, ce qui suggère que l’or représente encore une couverture contre l’inflation coûteuse, avec un rendement réel futur faible.
Des études récentes de Campbell Harvey et Claude Erbv montrent également que le prix réel de l’or se comporte beaucoup comme un multiple d’évaluation des actions, où des niveaux très élevés précèdent souvent un rendement prévisionnel modeste. Le contexte actuel implique donc que, bien que le rôle de l’or comme diversificateur demeure valide, ses rendements potentiels pourraient être modestes par rapport aux cycles précédents, quand les prix réels étaient plus bas.
Cela ne remet pas en cause les avantages de l’or aux fins de la diversification, mais les replace dans leur contexte. La corrélation à long terme de l’or avec les actions mondiales demeure proche de zéro, mais la volatilité du métal rivalise avec celle du marché boursier lui-même. Les données historiques montrent que l’or peut offrir une protection pendant les replis importants, mais qu’il peut être à la traîne pendant les phases stables ou de relance.
Assurance ou illusion?
La réputation de l’or en tant que couverture contre l’inflation a toujours été plus un mythe qu’un mécanisme. Bien que le métal ait offert une protection significative au cours des années 1970, son rendement a été inégal au cours des périodes d’inflation subséquentes. À court terme, le décalage entre la faible volatilité de l’inflation (autour de 2 %) et la volatilité élevée des prix de l’or (autour de 15 %) pourrait en faire une couverture peu fiable.
L’efficacité de l’or en tant que couverture d’actions est également variable. Notre analyse montre que l’or protège contre les baisses des actions environ 21 % du temps, ne procure aucune protection 16 % du temps, augmente aux côtés des actions 30 % du temps et baisse lorsque les actions augmentent dans environ un tiers des observations.
Ces résultats suggèrent que, si l’or peut agir comme une couverture en période de crise, sa relation avec les actions est situationnelle plutôt que systématique. Il peut protéger en période de stress sur les marchés, mais on ne peut pas compter sur lui pour compenser systématiquement le risque lié aux actions.
À long terme, la corrélation moyenne de l’or avec les actions est pratiquement nulle. Bien que cette corrélation ait quelque peu augmenté au cours des 25 dernières années, elle demeure faible, à moins de 10 % aujourd’hui. Cette relation faible fait de l’or l’un des nombreux actifs et stratégies pouvant contribuer à amortir les portefeuilles lors des corrections de marché, des épisodes inflationnistes et des récessions. Toutefois, de mon point de vue, l’or ne devrait pas être le seul élément de ce volet protecteur. Les portefeuilles de marchandises diversifiés, les obligations protégées contre l’inflation et les stratégies à convexité positive, comme les options de vente longues et les approches axées sur les tendances, pourraient offrir des formes complémentaires de protection contre les baisses.
Au contraire, l’attrait de l’or réside dans son caractère optionnel, une forme d’assurance contre les erreurs de politique, les perturbations géopolitiques ou une perte systémique de confiance. Mais, comme pour toute assurance, le coût compte. Aux prix réels actuels, la prime d’assurance de l’or est très élevée. Son rendement réel attendu pour la prochaine décennie sera probablement modeste, voire négatif, si les relations historiques se maintiennent. L’or doit être considéré comme une assurance coûteuse, précieuse en période de tensions, mais chère sur des cycles complets.
Positionnement pour les investisseurs
Pour les investisseurs détenant des actifs multiples, le défi consiste à trouver un équilibre entre les qualités protectrices de l’or et le risque lié à son évaluation. À mon avis, aux niveaux actuels, l’exposition stratégique devrait être modeste et réfléchie, adaptée aux scénarios de risque extrême plutôt qu’aux scénarios de rendement. La souplesse tactique demeure essentielle. L’or peut encore jouer un rôle dans un portefeuille diversifié, parallèlement aux obligations indexées sur l’inflation, aux stratégies à terme gérées et à d’autres instruments de diversification qui réagissent différemment aux variations des rendements réels et à l’incertitude des politiques.
Le récent surrendement des sociétés minières aurifères, en hausse d’environ 120 % depuis le début de l’annéevi, renforce la nécessité de faire preuve de prudence. Leur sensibilité amplifiée au prix de l’or accentue autant les gains que les pertes, et historiquement, de telles envolées ont tendance à s’estomper une fois que les prix au comptant plafonnent.
Dernières réflexions
La flambée au-dessus de 4 000 $ US a ravivé la question classique : la hausse de l’or marque-t-elle une réévaluation structurelle ou un nouveau sommet cyclique? L’histoire suggère que cette fois-ci, la situation ne devrait vraisemblablement pas être différente.
L’innovation financière, la dédollarisation et les tensions budgétaires ont sans aucun doute modifié les contours de la demande, mais elles n’ont pas aboli la constante relative à l’or. Des prix réels élevés ont historiquement entraîné des rendements futurs plus faibles.
Une inconnue potentielle réside dans le traitement réglementaire à venir. Si l’or devait être considéré comme un actif liquide de niveau 1 aux termes de Bâle III, les banques commerciales pourraient le détenir afin de satisfaire aux exigences de liquidité. Erb et Harvey estimentvii qu’un tel changement pourrait créer un choc de la demande comparable à celui qui a suivi le lancement des FNB aurifères en 2004, soutenant temporairement les prix même à des évaluations réelles élevées.
Le rôle de l’or en tant que réserve de valeur demeure, mais aux niveaux actuels, il fonctionne moins comme source de rendement que comme symbole d’incertitude. Les investisseurs devraient le considérer comme un outil de résilience, et non comme un gage de prospérité.
Corrado Tiralongo (il/lui)
Vice-président, Répartition de l’actif et chef des placements
Gestion de placements Canada Vie limitée